20111223

Mer muse

Tout au fond de sa tristesse - Ostende l’obscure,
Dans un bouge toujours plus éloigné de la brise saline,
Loin de l’ardent midi - étoile solitaire du soir,
Etait assise mère aux cheveux blonds, immobile comme une caisse enregistreuse,
Aussi muette que le silence planant autour de son bordel ;
Pigeon sur pigeon s’inclinait autour de sa tête
Comme nuée sur nuée. Aucun souffle dans l’air,
Pas même autant de vie qu’il n’en faut une nuit d’été,
Pour faire vider le portefeuille gonflé, envoler la légère carte de crédit ;
Où l’addition tombait, là elle demeurait.
Le champagne ne coulait plus à flot, dans le susurrement assourdi
Par respect pour la journée déchue et les sens usés
Qui projetaient une ombre sur lui : un enfant parmi ses oiseaux
Pressait son doigt humide sur des grandes lèvres.

Le long du bar, étrange rive, de larges empreintes étaient marquées,
Aussi loin que les pieds des affranchis avaient marché,
Puis s’étaient fixés là, sur le sol détrempé.
Sa main droite ridée reposait inerte, nonchalante, morte,
Privée de son index menaçant ; ses yeux de souveraine détrôné étaient clos ;
Tandis que sa tête penchée semblait écouter la musique de Jimmy Smith
Mon antique mère, attendait-elle quelque consolation encore ?

Il semblait qu’aucune force ne pût la faire mouvoir de sa place ;
Cependant vint là quelqu’un, qui d’une main familière
Toucha ses grasses épaules, après s’être, avec déférence, courbé très bas.
C’était la déesse du monde de mon enfance ;
Auprès d’elle un géant aurait paru de la taille d’un pygmée.
Elle eût saisi n’importe quel quidam par la chevelure et lui eût ployé le cou,
Ou, d’un doigt, eût arrêté la taxe à la valeur ajoutée.
Sa face était grande comme celle du Sphinx de Memphis.
Dressée sur quelque piédestal, toujours à réclamer quelques suppléments.
Sage, j’étudiais et vivais pour m’instruire.
Mais, oh ! Comme sa figure semblait de marbre !
Quelle beauté ! la Beauté elle-même !
Il y avait dans son regard une crainte aux aguets,
Comme si le malheur venait seulement de la frapper !
Comme si les nuages, avant-gardes des jours métastasés,
Avaient épuisé leurs maléfices et les arrière-gardes acharnées
Allaient amasser péniblement leurs provisions proliférantes.
D’une main elle pressait le point douloureux
Où gît le portefeuille, comme si juste là
Quoique vénale, elle ressentait une cruelle souffrance.
L’autre main sur le cou penché de son enfant était appuyée,
Tendant ses lèvres ouvertes, elle proféra quelques mots
D’un ton solennel, avec la sonorité profonde de l’orgue,
Quelques mots désespérés :
« Yves, relève la tête ! Cependant pourquoi, pauvre paresseux
N’es-tu pas dur comme mon mac ?
Car je n’ai de consolation que toi, donc, je n’en ai pas :
Je ne peux pas dire : Oh pourquoi dors-tu ?
Puisque tu t’es séparé de moi, et que ta mère
Ne te reconnaît plus, dans cette affliction, pour un fils :
L’amer du Nord, aussi, avec son bruit solennel,
A rejeté un corps, et toute l’atmosphère
Est saturée de masques grimaçants.
Je n’ai pas peur des hommes mais tellement des orages !
Ô douloureuse époque ! Ô minutes longues comme des années !
Tout, pendant que vous passez, accroît la monstrueuse vérité.
Et comprime tellement nos horribles angoisses
Que la crédulité n’a plus de champ pour respirer !
Yves, continue à dormir - Oh ! Pourquoi, étourdiment ai-je ainsi
Violé ton sommeil solitaire ?
Pourquoi ai-je rouvert tes yeux ironiques ?
Yves, continue à dormir ! Tandis qu’à tes pieds je pleure ! »