20111221

Medium



Il n’est pas illogique de supposer que, dans une existence future, nous puissions considérer cette vie terrestre comme un songe. E. A. Poe

Les grands mots nous rendent malheureux, ok, mais si tu savais comme je t’aime ! C’est pas dur, quand on m’a proposé cette séance de spiritisme, je me suis dit : - Merde ! Encore ma mère ! Car je viens justement de sortir un livre intitulé « Maman», petite chose furieuse et barbare, expression de mes nerfs malades. Puis pendant que je dormais, tu m’es apparu et tu m’as dit : Va vers l’avenir ! Ta mère, c’est le passé. De la réalité au rêve – que jaillissent les images ! Inconduite et contrition sont des métaphores sataniques. L’âme est tout ce qui existe. Continuer à parler à son cadavre ne peut plus te mener nulle part ! Merde à la mort ! Vive la vie ! Cause avec Jim, il est ton futur. Respect man ! J’en chialais. Tu sais que j’ai craché deux mômes ? Non ? Comment je les ai appelé ? Ulysse et Anna Livia. Ça te plaît ça hein ? Sacré fripouille ! Tu te souviens de toutes ces années où je ne parlais qu’avec toi ? Cris amoncelés d’accablantes misères mêlés à nos arts des rires en murmures ! Tu t’en souviens ? Et tout ce que tu m’as fait lire : Isaac Luria, Miguel de Molinos, Joachim Abbas... Entre dans ton œuvre comme on entre dans les ordres m’ordonnais-tu, répudie toutes attaches mondaines ! Refuse la guerre des autres ! Ne sers pas ! Reste hors de l'existence, cure-toi les ongles… Mène seul ta quête. Oscille perpétuellement entre permanence de l’être et mobilité de l’univers, alpha et oméga, douceurs du péché et morsure de l’en-soi. Transforme le pain de la vie quotidienne en art !
Ô toi mon Saint Patron, à coup de parodies, je vais te ziziter ! Tous les vices, mauvais goût surtout ; Sainterelle, légère – perpétuel maudit, banni, scandaleux, prenant ton bain de soleil sur le Libido avec 4 fillettes insectueuses – Oui, oui, Milord, cette vieille fille, cette si malicieuse université, en pince toujours autant pour toi, et dans ton pays, les autres gueulards rougeauds ont crée un Bloom’s day ! Tristesse posthume, farce des morts-vivants, ronde des braves disparus, apocalypse selon Ginette…
Te revoir ! Quel plaisir ! Tu n’as pas tellement changé mon Giacomo. Tu faisais déjà tellement ectoplasme de ton vivant… Ça a l’air plutôt calme ici. Ça va ? Comment ça tu n'as pas le droit de me répondre ? C'est tabou ? Monsieur Dieu ne rigole pas ! Et moi qui croyais qu’au paradis (Un rond dans l’eau qui va toujours s’élargissant jusqu’à se perdre dans le néant, un tourbillon, une douce non-terre aux eaux murmurantes où s’ébattent le grondin, la plie, le gardon. D’aimables vierges assises contre les racines des arbres aimables chantent les plus aimables romances tout en jouant avec toutes sortes d’aimables objets comme des lingots d’or, des poissons d’argent, des barils de harengs… ), c’était comme à Paris et que
tout le monde s’y fichait de ce qui faisait son voisin.
Tu voulais recréer la vie avec de la vie et maintenant que fais-tu avec la mort ? La décris-tu minutieusement ? Peins-tu des morts moyennes dans une vérité sans fard ? La chute éternelle ? La répétition inlassable de tout ? Dresse-tu l'inventaire des inapparences ? Vote pour moi ! Tu sais que je suis le meilleur des présidentiables de ton fan club, du club des ratés, des loosers, des tendus, des tendres bons à mâcher et à remâcher. Si je suis élu, je te jure que je ferai imprimer toutes tes play list. Ah Carmen ! Ah Guillaume Tel ! Imagine comme toutes tes grassouillettes polypissonnes seront en extase ! Jésuite envapé ! Druide gothique ! Tu penses évidemment que comme d'hab je ne cause que de moi. Tu ne t’es pas entendu ! Avec tes caprices, ta fantaisie, tes migraines !
Touche-moi Polly... Refais-la moi happy few… Mais gaffe ! J'en ai assez de toi aussi Mister Joyce ! De tes involutions, de ta parole retournée avec ironie sur elle-même, de ta compacité légère et intemporelle, de ta légèreté de pierre tombale. Vieux gamin… Miasmes sourdes, aigres senteurs, haleine épaisse, franche nuée. Tu pèses ! Pâleur frêle, ossature délicate, fantôme crépusculaire. Arrivent en grondant et passent les ombres des traîtres. Vue basse, glaucome. Spectre de ton spectre : des ombres que frappe la chaude lumière crème, ombres grises couleur de petit-lait, stries jaune d'oeuf, humeur rance. Les cent noms de celui qu’on ne nomme pas. Mourant encore et encore dans l'écho des paroles que tu profères de ta voix de ténor. Mon âme, à ton contact, enfin se dissolvant. Juste : percevoir sans juger, sans lutter, sans fuir. Être une rivière plutôt qu’une statue, les artères d’une grande citée, l'art, la fluidité du Tao, l'étreinte des contraires, le rire des éléments, les soupirs des amants. Ma honte flamboie et je te la dois ! Abhorrer la multitude ? Mais je suis un vaurien, l’esprit des masses ! Brut de décoffrage… Que veux-tu que je rapporte à la presse de notre échange, que l’heure du Bon Dieu, c’est 12, 25 ? Que tu seras au rendez-vous ? Que pour tes bien-aimés sujets, une ère nouvelle va luire ; que toi, Jamesy, tu leur dis, en vérité, que le grand jour est proche ! Voire, parole d’ivrogne, que nous entrerons avant qu’il soit longtemps dans la cité dorée, dans la nouvelle Joysarucelem, dans la Nova Hibernia ? Passez votre commande de suite. Rejoignez nos rangs illico ! Prenez vos billets pour Éternité-Triage. Un mot seulement. Si le second avènement te visitait, serais-tu prêt ? Te plains-tu de l’illumination ? Une fois que tu auras entravé ça, mon vieux, la gaillarde excursion au paradouze ne sera plus qu’un jeu de petit enfant. Non ! Ne t’en va pas ! Pas tout de suite ! Reste, ô toi, mon chélonomorphe, mon cantique des cantiques. Et je t’en supplie : ne m’oublie pas…






Yves Tenret,
illustration Guido Hübner