20111111

LE PARADOXE DE LA POMME DE TERRE ET DE SES TRANSFORMATIONS


                                                La pomme de terre est dans sa nature contradictoire. Elle tente dans son dessein de tubercule, tous les chemins de l’informe, sans pour autant échapper à la forme. « Excroissance arrondie d’une racine, d’une tige souterraine à caractère filiforme ou parfois aérienne, elle nourrit la plante dont elle provient tout en étant comme espérée comestible par des corps étrangers qui la cultivent et dont nous sommes » nous dit little Robert story. C’est une belle enflure de rhizome, de fibrille qui dans sa terminaison de frite, tente de se souvenir d’où elle provient, en faisant des pointes de danseuse échappée des bains bouillonnant de lipide, négligeant du coup son passé aux allures pachydermiques. Si elle accumule pléthore d’amidons dans sa chair riche, elle fait bien souvent le bonheur d’un festin pour le pauvre, abandonnant sa peau au groin content des cochons. Son dos rond et ferme de patate, lisse parfois comme le galet, surtout quand elle se veut nouvelle, se dérobe dans l’amollissement lactée et grumeleux d’un océan de purée. Mutique et aveugle même quand elle a des yeux, elle soulève des harangues pendant les jours de marché et mieux encore des jurons exclamatifs. Sous ses dehors de dondon, elle rêve alors de légèreté, de plumes, de neige, de flocons ou d’édredons. Elle fait tomber sa robe des champs pour se grimer en mousseline. Elle s’invite dans les cocktails, parmi les robes de soirée, entre les verres sirotés et taquine en amuse-gueule les doubles mentons congestionnés. Elle se fait nymphette, Lolita en cavale au cœur de tulle effeuillé, croustillante, croquante et craquante à souhait dans la marée des bavardages, des libidos cachées et des regards obliques. Dans son tutu, quoiqu’un peu gras, ce fin tissu, se dissimule le tubercule. Dans ce qu’elle a d’originel, elle est plutôt proche du caillou, du minéral, de l’inertie, du non agir. Pourtant on entend souvent « T’as la patate ? ». Qui a vu que le tubercule gesticule. C’est en général en tas que le légume gît là. Elle songe sans doute à sa cousine, le fruit défendu, la chute d’Ève et d’Adam des hauteurs sucrées de Cocagne, hôtesse de l’air, patience de l’arbre, qui du même coup et du même cul fit comprendre à la caboche du Newton effarouché la pesanteur. Mais n’oublions jamais que dans son costard de chips ou de frites, elle joue quand même dans la cour des enfants.